Douze milles thésards ont du pondre un truc là-dessus.
Les petits gars du MIT.
Les pigistes de Wired et autres magazines du genre.
Un petit million de bloggeurs.
J’évitais alors le sujet, ce truc, là, inventé par les Suisses, internet.
Les réseaux sociaux.
C’est pas pour pondre une analyse de plus, addition, soustraction. Des gars le font très bien. Merci.
Juste ça me gave dans ma vie courante. Ma vie numérique. La votre aussi j’imagine.
L’humour.
Ca va devenir difficile, j’ai bien l’impression, non?
Avec cette connerie de LOL, MDR, et les milliards de Simleys, n’importe quelle phrase devient hilarante. L’inverse est vrai.
Donc personne ne fait l’effort de faire en sorte que ce soit vraiment drôle. C’est certifié, labélisé par un Simley, des trucs avec des virgules.
Le moindre mail. Texto. Tout.
Pas de recul.
Ce truc de signalement, ce n’est pas la fin de l’humour justement ?
Où est la surprise ?
Le décalage ?
La « désharmonie » de Bergson (in Le Rire : essai sur la signification du comique, p.73.)
Déjà, que les blagues sont devenues une sorte d’industrie. L’humour consiste souvent dans la récitation par cœur (avec parfois des talents d’imitateur douteux) des bouts de sketch. Des extraits de films.
Ok, ce n’est pas récent, les blagues de Toto remontent à avant nos parents. Les blagues Carambar datent de 1969. Ca devait citer du Molière dans les coursives de Versailles.
On connait tous les dialogues du « père Noel est une ordure », film et pièce de théâtre.
Juste l’impression que ça s’accélère. On ne rigole pas du voisin qui se pète la tronche, mais du chaton Brésilien sur YouTube. Le gamin US qui sort du dentiste. Etc.
Période de crise oblige, les humoristes pros se multiplient. Tant mieux pour eux. C’est toujours bien d’aller au spectacle. Si des intermittents peuvent avoir leurs cachets, cool.
Juste un peu du mal avec ceux qui se matent en boucle de DVD et les citent à tout bout de chant. « j’adore les… ».
Surtout, c’est l’humour de l’autre.
« même au théâtre, le plaisir de rire n'est pas un plaisir pur, je veux dire un plaisir exclusivement esthétique, absolument désintéressé. Il s'y mêle une arrière-pensée que la société a pour nous quand nous ne l'avons pas nous-mêmes. » Bergson, Ibid. P. 103.
Je dois être un vieux con aigri, mais je préfère toujours la petite blague artisanale faite maison.
Même pas forcement drôle.
Qui sort, pff, trop vite.
Juste l’impression, peut être fausse, qu’avec le retour de l’écrit (les SMS, MSN, Skype, FB, etc.), ça sonne plus sec, donc faut préciser à quel degré on est. Vous êtes vite en décalage.
La sale blague passe pour une saloperie premier degré.
Un truc drôle sur le coup, dans un mail, va ne paraître pas drôle au récepteur. Décalage de la réception qui se surajoute.
La vie numérique imite la vie normale, et réciproquement. Donc, maintenant, j’ai juste l’impression qu’une sale vanne, les gens vous regardent de traviole.
Je ne crois pas à la pensée unique, au politiquement correct. Un peu, quand même.
Les bons citoyens qui vont gueuler sur mes petits potes de huit ans du resto Thaï où j’ai mes habitudes, parce qu’ils martyrisent mon chien. Ils vont les gronder. Jusqu’à que je sortes et plus personne discute. Je dois être moins facile à gronder qu’un gamin de huit ans, on dirait.
Je précise, pour les bons citoyens : les chiens martyrisés, c’est ceux qui passent leur journée dans un appart, pas ceux qui s’amusent avec des gamins !
Donc, oui, maintenant, on ne se moque pas des handicapés. On ne leur parle pas. On file de la tune au SDF, mais on ne va pas leur causer. Ils puent et de tout façon, c’est pour boire.
Et surtout, on se rigole pas d'eux, c'est pas cool.
Vous savez la légende des enfants leucémiques, qui s'amusent et qui sont courageux, c'est pas vrai. Les handicapés qui ont du recul et développent leur autres sens, c'est une grosse connerie.
C'est une histoire qu'on raconte aux grands enfants comme vous, en pleine santé, pour les rassurer.
La version adulte de la petite souris.
Le truc le plus policé du monde, c’est FaceBook. J’ai l’impression d’être invité à une soirée bourgeoise. Oui, malgré ma réputation, ça m’arrive encore (vernissage au Musée, genre). Une de mes dernières neurones actives s’éclairent et j’ai envie de dire les pires insanités. Je le fait.
Personne ne pige rien.
Ca crée un grand vide autour de soi et permet d’accéder au buffet. Chopper de la bonne picole.
Il se passe la même chose dans les enterrements, ce n’est pas le nom, vous savez les soirées toutes en noir, de nos amis anars. Les féministes radicales. Les concerts dans les squats.
Il existe une certaine forme d’humour, mais sous cape, private joke. Modèle initié.
Essaye autre chose, et tu es viré de la mailing list.
Personne te donne de Flyer.
Donc, pour celui qui cherche à se faire de l’argent : créer une appli pour Smartphone avec des rires enregistrés. Un logo LOL qui s’affiche à la fin de vos phrases.
Vous serez vite riche.
Car personne n’a vraiment l’air de saisir le second degré, par les temps qui courts.
Si je me souviens bien, Bergson finit par conclure que l’humour sert surtout à la société à recadrer les sujets qui s’échappent à la norme.
Dans une société de contrôle composée de bons citoyens, on peut effectivement révoquer l’humour.
Et non, je ne conclus pas par une bonne vanne.
M.
Ps : ce post ne concerne pas l’humour comme qualité, donc je ne fais pas référence à « l’humour du triste » de Deleuze (in Spinoza : immortalité et éternité, CD audio), celui de la morale. En gros, les blagues racistes, sexistes, etc. C’est un autre sujet et j’en parlerais pas.